Le harcèlement scolaire est un fléau qui peut affecter tous les enfants, mais particulièrement les enfants différents. Je vous raconte notre histoire?
Ma petite fille a subi pendant trois ans, dès la maternelle, des violences physiques et verbales de la part de groupes de camarades. Nous avons tenté de régler le problème avec les enseignants puis avec l'ouverture d'un programme PHARE par la direction de l'école, qui a été réactive.
Malheureusement, tout cela s'est avéré sans efficacité définitive, puisque si un enfant s’arrêtait, d'autres continuaient. Nous avons fini par retirer notre fille, très marquée, de l'école et demandé une Instruction en Famille (IEF, un autre article bientôt ici à ce sujet) auprès de la DSDEN.

Au fur et à mesure des discussions avec différents professionnels, psychologues, neuropsychologues, pédiatre, psychomotricienne, orthophoniste, personnels de la direction de l'éducation nationale, pour constituer l'épais dossier nécessaire à l'IEF, nous nous sommes rendus compte que beaucoup d'autres enfants atypiques (neuroatypiques, surtout) étaient souvent en détresse à l'école (une étude intéressante sur les besoins non respectés des élèves neuroatypiques à l'école au Royaume Uni en anglais ici.). Ces enfants étaient régulièrement aussi une cible préférentielle des actions de violences, notamment de groupe et ce, dès les petites classes de maternelle et pendant des années ensuite.
Outre le problème de société qui cible systématiquement ceux ressentis comme les plus faibles, comme les femmes, les personnes "différentes", les minorités en tout genre, les enfants par certains adultes, il y a une non compréhension du problème de la violence sociétale par l’Éducation Nationale, mais qui ne concerne pas que l'école. Il y a donc, ensuite, une inefficacité de prise en charge. Voyons comment le harcèlement a été pris en charge dans notre cas.
En premier lieu, malgré l'augmentation des effectifs de surveillance immédiate bienvenue, les enseignants doutent de la parole de l'enfant car ils n'ont pas vu la violence, et souvent les petits agresseurs sont perçus comme des enfants mignons, "sages", qui ne feraient pas de mal à une mouche et se "soucient particulièrement" des autres. Ce qu'il sont sans aucun doute avec les enseignants.
C'est sans compter sur le fait que tout se passe à l'insu du professeur (sinon il y aurait un autre problème, et ... c'est parfois le cas), et sur la dynamique de groupe où un leader qui veut montrer sa capacité à commander mène les troupes, sans parfois lui même participer, et ce dès 3 ou 4 ans. Ils "jouent" à la bagarre en imitant les dessins animés, notamment.
D'autre part, il est à souligner que les enfants agissent consciemment à l'insu des surveillants (depuis quand les enfants seraient bêtes et se feraient délibérément punir ?). D'autant plus qu'un enfant hypersensible (au bruit, à la foule), différent, à souvent tendance à jouer à l'écart.

C'est la première difficulté : l'enfant victime perçoit que l'on doute de lui, et d'ailleurs, rares sont les petits agresseurs qui ne mentent pas pour éviter d'être punis. Parfois même, la victime tente de se défendre et les agresseurs la dénoncent, et elle se fait punir. Je n'apprendrai pas aux HPI par exemple que l'injustice leur est particulièrement intolérable, eux qui respectent souvent scrupuleusement les règles. Quand un règlement promet des sanctions pour chaque type de violence qui ne sont pas appliquées, on perd foi en l'adulte et dans le système, même tout petit, avec des conséquences psychologiques et de construction mentale inévitables.
Si toutefois le professeur surprend des faits de violence, ou dans le cas de ma fille, un "complot" visant à la coincer quelque part et à la battre avec des branches, et réprimande les agresseurs, cela finit régulièrement par une vengeance des petits agresseurs qui ne sont pas contents d'avoir été punis et ne perçoivent pas la gravité de leurs actes. En l’occurrence, ils savent que ce n'est pas bien de taper, mais ils ne perçoivent pas les conséquences des coups et insultes sur les petites victimes. La situation empire pour la victime qui est traitée de délateur, qui est isolée et ostracisée. Faire appel à un adulte se solde donc par un échec. Parfois même, la petite victime n'a d'autres choix pour ne pas être seule que de complaire à ses petit bourreaux, et tait ses tourments pendant des années.

Alors, au pôle PHARE, on nous dit que le harcèlement scolaire n'est pas qualifié pour deux raisons : les agresseurs sont trop petits et ne savent pas ce qu'ils font, ils ne sont pas responsables de leurs actes. La non-responsabilité juridique est acceptable, mais celle morale est discutable. Dès un ou deux ans, un enfant sait très bien si ce qu'il fait est ou non acceptable ou non, notamment de taper même si la maturité du cerveau pour se retenir commence à partir de sept ans, et sauf exception propre à l'enfant bien sûr, mais, en plus l'effet de groupe brouille leurs réflexion. D'ailleurs, beaucoup, quand on leur explique les conséquences sans les punir, arrêtent.
Cela fait penser à l’expérience de Milgram sur la responsabilité menée au lendemain des exactions la seconde guerre mondiale - sans comparer les petits agresseurs aux nazis, bien sûr, mais le mécanisme psychologique à l’œuvre est intéressant et pousse à la réflexion. Comment, en groupe, des personnes adultes, s'absolvent-elles de leur responsabilité puisqu'un chef, donc l'autorité, leur a ordonné? L'expérience de Milgram a démontré de manière troublante que des individus ordinaires, placés dans des situations où une autorité légitime leur donnait des ordres, pouvaient commettre des actes qui semblaient contredire leurs propres valeurs morales.
Des actions sur l'empathie sont menées en classe, et les enseignants ont fait ce qu'ils ont pu (avec les moyens de l’Éducation Nationale), mais tout cela a été vain puisque même si on travaille les valeurs morales du groupe, on voit clairement qu'elles peuvent être outrepassées par un meneur, quelque soient ses motivations : souvent, se faire valoir en jouant les super-héros cools et forts qui battent le méchant, comme dans les Pyjamasques, Spiderman, WinX et autres princesses guerrières. Tous ces dessins animés qui, quoiqu'on en dise, incitent à la violence si les parents ne discutent pas effectivement avec leurs enfants de la différence entre la réalité et les films. C'est le cas de livres et d'histoires aussi, comme Mortelle Adèle où la petite fille fait et dit souvent des méchancetés à ses parents et bafoue leur autorité, Anatole Latuile par exemple aussi, et même Harry Potter, qui passe son temps a faire ce que les professeurs lui interdisent pour sa sécurité, même si, parfois, c'est pour venger ses amis harcelés par le désagréable et vil Malfoy. Mais comme les parents lisent ces histoires aux enfants, ou qu'ils sont suffisamment âgés pour faire la part des choses, ils ont souvent le réflexe de remettre l'histoire à sa place d'histoire.

Le programme PHARE en soi comporte aussi un problème. L'enfant, après signalement des parents auxquels il a fini par se confier un peu, accepte de sortir du mutisme où il s'est réfugié en parlant de ses traumatisme et ce faisant en les réactivant, parfois en évitant de relater certains faits trop douloureux et humiliants. Le premier réceptionnaire de cela à l'école est l'enseignant, qui la plupart du temps n'a rien vu, et n'a pas la formation psychologique nécessaire pour percevoir qu'un enfant mutique est souvent un enfant traumatisé.
L'enfant, reçu seul donc sans soutien face aux adultes dont il doute déjà (voir plus haut) minimise les faits pour éviter la douleur d'en parler, mais aussi les possibles vengeances des petits agresseurs qu'il a déjà subies. Par ailleurs le témoignage est souvent recueilli après les premières mesures de surveillance accrues qui ont lieu après le mail des parents , et donc à cet age, l'enfant, qui souhaite oublier, raconte ce qu'il a vécu le jour même, donc une fois les mesures appliquées, minimisant donc, là encore, ce qu'il a vraiment vécu.
Par ailleurs, malgré leur bonne volonté à souligner, cela arrange de facto le corps enseignant et la direction, qui sont évidemment partie prenante, car sur lesquelles pèse un soupçon de défaut de surveillance - alors qu'eux aussi ont droit à des pauses de vigilance, ce ne sont pas des robots.
Et voilà comment ce programme minimise le problème, et j'ajouterai, malgré l’accroissement des mesures de surveillances, ne prend absolument pas en charge le ressenti de la victime qui est priée de se débrouiller seule en famille pour les conséquences des actes d'autrui.
D'autre part, les violences continuent souvent en exploitant les failles de surveillance, à l'abri des regards et auront lieu quoiqu'il advienne : par exemple, dans la queue de la cantine lors du transfert du midi, car le surveillant, non prévenu, dépend de la mairie et non plus de l’Éducation Nationale. Bref, malgré toutes les bonnes volontés, le système du surveillance est une passoire, et la victime le reste. on retrouve aussi ce cas au collège, à la sortie de l'école, sur les réseaux sociaux qui sont laissés sans garde-fous.
Un autre point est que le programme PHARE n'est pas visible par les parents mais un débriefing nous en a été fait. J'ai tout de suite relevé que c'était complètement minimisé en l'expliquant, mais on m'a indiqué que seul le témoignage de l'enfant et dans sa classe actuelle comptait ! Voilà qui est intéressant car cela ne tient absolument pas compte de la chronicité des violences, en particulier pour ceux qui ont un profil atypique.
De plus j'ai trouvé dur à entendre que l'hypersensibilité de ma fille soit un prétexte pour minimiser la violence donnée par ces "loulous pas responsables de leurs actes", puisque d'autres tolèrent bien ces propos. Mais personne n'a a tolérer des propos dégradants répétés sur trois ans et la violence physique, des coups de bâton, de crayon juste taillé dans la jambe, poussées au sol en se claquant la tête et le dos, coups de poings, croches-pieds, avec des insultes comme "tu est grosse, moche, bête, ta tête ressemble à une grosse patate", assortie de commentaires comme tu ne sais pas jouer, tu es bizarre, nulle etc. Quel adulte tolérerait ça dans son milieu de travail ?

Alors qui est responsable de l'anxiété et des conséquences sur la santé (voir une étude en anglais ici) de ma fille, traumatisée par son vécu social à l'école, en plus de son TDAH et de son HPI, qui passe son temps à écrire sur ses cahiers qu'elle est nulle? Faut-il un responsable? Et pourquoi sent-on une lutte pour maintenir l'enfant victime dans le milieu scolaire comme si c'était une calamité de l'en retirer, alors que sa santé mentale et physique, les fondements même de sa personne sont en jeu, et que, à la lumière de cela, la situation est susceptible de se répéter même en cas de changement d'école ?
Elle n'est pas la seule et les effets très négatifs de la violence scolaire sont exposés par exemple ici dans une étude italienne. Pourquoi la première personne à entendre l'enfant n'est elle pas un professionnel indépendant comme un pédopsychiatre ou un psychologue formé à l'écoute des enfants, quelque soit leur âge d'ailleurs, puisque tout cela perdure souvent des années, qui redirigerait le suivi de la victime ensuite ? Pourquoi cette société protège-t-elle d'abord les coupables (a peine entrevus par le corps enseignant, parents non prévenus) et protège-t-elle le groupe, en menant des actions d'apaisement et d'enseignement de l'empathie mais sans du tout prendre en charge la victime, et ce alors que l'école est censée être un endroit sécuritaire?
C'est vraiment un problème de société : la prise en charge des victimes, quelles qu'elles soient, femmes battues, viols, est inexistante tant tout ce qui peut être fait est de passer par une action en justice. Ce qui soit permet à l'agresseur de s'en tirer fautes de preuves (pas de preuves, pas de justice), et lui permet donc une vengeance sur la victime; soit dans le cas généralement fortuit et exceptionnel où il y a des preuves (ex, procès Pélicot), la victime est trainée dans la boue en public en plus de ses traumatismes par la défense, traitée de menteuse par l'agresseur ou consentante (elle l'a bien cherché!). Seule l'exposition des agresseurs devant l'opinion et le tribunal public semble efficace (#metoo), malgré tout ce que cela suppose d'effets néfastes sur la famille des agresseurs et de moralité discutable.
Une vraie réflexion sur toutes les couches de la société, de l'enfance au grand âge (là aussi, les violences sont légion), tant il semble que la répression au mieux est inutile et au pire néfaste (vengeance). Comme pour les enfants, et en particulier les enfants atypiques qui sont sensibles à la justice, il me semble que la responsabilisation face aux actes commis, si c'est possible (je pense aux cas psychiatriques non contrôlables), serait infiniment préférable à la répression une fois la victime mise en sécurité.
Par exemple, dans le cas scolaire, en faisant faire dès les premiers actes des tâches qui visent à réparer des mauvaises actions sans humilier l'agresseur, mais en mettant en valeur ses bonnes actions visant au respect de soi et de tous. Un petit garçon s'est par exemple excusé auprès de ma fille, et selon elle n'a plus recommencé. Il s'avère qu'un autre petit l'aurait convaincu d'attaquer notre fille avec lui. Nous avons demandé à la maîtresse de le féliciter pour son courage, car c'en est un de reconnaitre ses torts et ses mauvaises actions, et cela nous concerne tous . En laissant la possibilité de changer en prenant conscience que les actes ont des conséquences , on montre que l'on est responsable.

Avant d'encourager de parler des violences, il faut un système efficace capable de prendre en charge les victimes et les auteurs de violences, et de respecter les différences.
Une petite aparté ici, au sujet des conjoints violents, un conteur professionnel formidable rencontré régulièrement à l'hôpital nous a raconté un jour qu'il avait exercé dans des milieux carcéraux, et dans une unité psychiatrique chargée des thérapies d'hommes violents. Comme c'est un homme de bien, il a expliqué avoir choisi des textes avec une morale pour ces hommes, et les voir petit à petit se tortiller sur leurs chaises au fur et à mesure des lectures : une mise en face de leurs actes répréhensibles prenait bien place. L'équipe soignante lui a expliqué devoir cesser ces lectures, car elles agitaient tellement ces hommes qu'ils devenaient ingérables et les soignants devaient augmenter leurs médications. Cette anecdote me semble bien refléter l'état de notre société face aux violences : fuir sa responsabilité.
Concernant les violences scolaires, un dernier mot à cet article un peu long : à ceux qui disent (et je l'ai entendu) : ce sont des problèmes de cour de récré, j'oppose les milliers de témoignages de vies brisées dès l'enfance, et le comportement de certains adultes qui continuent les agressions puisqu'ils s'en tirent toujours, quand quelques uns réalisent tout de même qu'ils se sont laissés embrigader, malgré eux, dans des violences dont ils ne sont pas fiers. Quelques témoignages :
"On ne m'a diagnostiqué autiste qu'à la cinquantaine. J'ai été victime de harcèlement psychologique à l'école. D'abord par les enseignants du primaire, puis par les élèves du collège et, croyez-le ou non, enfin par mon supérieur. J'ai appris à me défendre, mais les séquelles psychologiques étaient profondes. Peu après mon licenciement, j'ai fait une dépression nerveuse. J'ai peu d'amis, même aujourd'hui, et je préfère la compagnie des animaux. Ils ne me jugent pas." KRFF.
"J'ai aussi été victime de harcèlement à l'école primaire, à cause de mon eczéma. Outre le fait que c'était une maladie de peau très douloureuse, mes camarades se moquaient de moi et me surnommaient « la fille à la main de sorcière ». Les enfants peuvent être extrêmement cruels, mais je suppose que c'est ce qu'ils ont apporté de la maison. Je suis donc devenue très autonome, je n'avais pas d'amis, je restais seule et je lisais beaucoup. À 12 ans, l'eczéma a disparu, j'ai commencé à avoir des amis, mais je restais surtout seule. Puis ils ont commencé à m'appeler « la reine des glaces ». Cela m'a tellement affectée qu'aujourd'hui encore, je ne fais confiance qu'à moi-même." Evi13.
"Je souffre de stress post-traumatique depuis l'école. J'ai été victime de harcèlement et j'ai passé cinq ans assis seul dans chaque classe, et chaque déjeuner à manger mon repas sur un trottoir dans la rue. J'ai 43 ans maintenant et c'était la pire période de ma vie. Je n'ai jamais ressenti une telle solitude, c'était horrible. Je pense souvent à contacter ceux qui m'ont harcelé, mais je ne suis pas sûr qu'ils s'en soucieraient." myruin69.
Un truc tout de même : les arts martiaux n'empêchent pas les violences surtout au début de la pratique (mes filles pratiquent le kung-fu). Pour être efficace, il faut une certaine confiance en soi, et que l'enfant comprenne qu'il n'est pas moins bien parce que différent (tout le monde est, plus ou moins, différent!). Aux enfants et aux parents, je conseille, contre les petites attaques du quotidien, les réflexions désagréables, ce livre du Dr. Philippe AïM, "Aider votre enfant à ses sortir du harcèlement extrascolaire". Pour renforcer sa confiance en soi et se prémunir de l'impact des répliques harcelantes "simples". Voici aussi une réplique sans appel qui suppose un peu d'exercice et une prise de conscience qu'on ne peut pas changer le monde : "et alors? tu penses et tu dis ce que tu veux, cela ne regarde que toi". La liberté de penser et de parole des uns, est la liberté de s'en ficher des autres. Non mais.
Alors à quand une véritable évolution de la société, l'acceptation des différences, toutes les différences, la responsabilisation véritable des actes, la protection des victimes et la réparation des conséquences ?
Et vous , avez vous connu cela? Quelles sont vos réflexions sur le sujet? Que pensez-vous de l'Instruction en Famille et de sa facilité d'accès ?
A très bientôt,
Irène Zen
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